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    Causerie

    En classe, mesdemoiselles, vous n'irez plus au bois, les lauriers sont coupés ! En classe, vous aussi, jeunes potaches, dont le retour d'octobre a brusquement clos les joyeux ébats! Dans les premières bruines automnales, les portes du sévère bahut se sont ouvertes à deux battants pour vous recevoir, et dix grands mois sont là pendant lesquels, sous réserve de quelques escapades autorisées, mais bien fugitives, il vous faudra faire votre deuil des longues heures de douce flânerie où vous vous complaisiez comme dans un rêve sans fin. Au travail maintenant! Si la tâche vous parait parfois un peu lourde ayez bon courage ; il ne s'agit en somme que d'un coup de collier à donner, et n'oublier pas que l'indépendance est au bout de vos jeunes efforts. À l'œuvre donc, et l'école buissonnière vous semblera plus douce quand reviendra avec la saison estivale l'ère, plus prochaine que vous ne croyez, de vos grandes vacances.

    Parmi les jeunes, sous les yeux desquels pourront tomber ces lignes en ce jour de repos dominical, plusieurs sans doute sauront s'acquérir un jour une légitime notoriété, mais je ne leur souhaite, pas de chercher dans la même voie que ce citoyen? norvégien dont les journaux quotidiens nous contaient ces jours-ci l'original exploit. Depuis plusieurs années notre homme s'étudiait à faire tenir le plus grand nombre de mots possible sur une carte postale. C'est ainsi qu'il parvint à écrire sans employer ni loupe ni lunettes, mille mots parfaitement lisibles dans l'espace qu’il s’était fixé. C'était déjà joli, mais ce premier résultat ne suffisant pas a sa gloire, il arriva successivement, à la suite de nombreuses expériences, à trois mille puis à six mille mots. Au bout de trois ans, en diminuant sans cesse les caractères, il put mettre sur une carte une vingtaine de mille mots. Dès lors, comme Guzmann, il ne plus connaître d’obstacles ; d’essais en essais, il parvint à doubler le chiffre que nous venons de donner, et, en dernier lieu, ayant compté les mots d'un roman qui n'en contenait pas moins de quarante-six mille, l'infatigable calligraphe entreprit de le copier tout entier sur le revers d'une de ces cartes postales qui sont l'unique champ de ses travaux. Au bout de trois mois, il atteignit son but ; heureux et fier de ce résultat il se repose maintenant, en attendant mieux. Le voilà bien avancé, par exemple, avec ce record d'un nouveau genre, Mais comme dit l'autre, ça vaut encore mieux que d'aller au café. Continuez, bon Norvégien !

    Après cela, chacun cherche son passe-temps où il lui plaît. L'impératrice douairière de Chine, vous savez, cette excellente dame qui naguère faisait couper la tête à une demi-douzaine de membres du conseil de l'Empire dont les tendances lui avaient paru un peu trop modernes et partant très subversives, l'impératrice mère, disions-nous, adore le sport en général et la lutte à main plate en particulier. Elle s'est fait construire dans son palais une salle spécialement réservée à ce genre de sport, et chaque jour elle s'y livre avec ses dames d'honneur à de vigoureux assauts dont ces dernières sortent régulièrement meurtries et vaincues.

    Il y a quelque temps l'idée lui vînt de varier un peu ses exercices et elle résolut de faire de l'escrime. A tout autre qu'elle, cette fantaisie aurait pu coûter cher, l'escrime étant un sport plus en honneur chez les Européens que parmi les fidèles sujets du Fils du Ciel ; mais comme le modernisme ne lui déplait que chez les autres, elle fit venir d'Europe tous les accessoires nécessaires : fleurets, masques, gants, etc. Hâtons- nous d'ajouter que la première leçon ne fut pas de son goût ; l'escrime à son gré n'était qu'un exercice efféminé. Elle fut même si mécontente de cet essai que, s'élançant sur son maître d'armes, elle le saisit à bras le corps et en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire elle le fit toucher les deux épaules.

    Et voulez-vous savoir l'âge de l’impératrice douairière ? Soixante-quatre ans. pas un de moins, à la prochaine récolte des chinois à mettre à l’eau-de-vie. Elle en est à son troisième veuvage et l’on comprend que les trois empereurs défunts n'aient pas pesé lourd entre les mains d'une telle gaillarde.

    A propos de souverain, Léopold II vient d’éprouver une assez singulière mésaventure. Le pacifique roi des Belges était dernièrement allé faire une excursion à bord de son yacht. Au retour il prit la voie de terre, et le yacht, délesté de son auguste passager, fut ramené à son point de départ. Mais, par malheur en passant dans les eaux hollandaises, le navire royal heurta un petit pont de bois et y causa quelques dégâts. Sur ces entrefaites surgirent les agents du fisc qui tenant sans doute en médiocre estime la solvabilité du roi, saisirent le yacht comme gage„ et l’embargo ne fut levé qu’après le paiement intégral des dommages. Elle est bien bonne en vérité, encore qu'il soit probable que le roi, lui, a dû la trouver tout à fait mauvaise.

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